Alain BORER
Article paru dans le catalogue du Salon Page(s) 2023
« L’illustration contemporaine de Rimbaud et autres curiosités de belle bibliophilie«
Sept considérations sidérantes au sujet d’Arthur Rimbaud
« Œuvre hors de toute littérature,
et probablement supérieure à toute. »
Félix Fénéon, à propos des Illuminations
Rimbaud constitue sans doute le mythe le plus puissant de l’histoire de toutes les littératures. — À cette réserve près qu’il n’y a pas de « mythe » à proprement parler (à parler improprement, plutôt, car le concept de « mythe » à propos de Rimbaud n’a jamais reçu la moindre définition, renvoyant vulgairement à l’idée de croyance erronée, opposée au Moi-Je-sais d’Étiemble !), mais une histoire vraie, dont le peu que l’on en connaît ressemble à un « mythe » au sens premier de légende, legendus, « ce qu’on en dit » —, et dont il faut d’abord préciser les aspects principaux, tous étonnants : pour présenter une apparence comme-mythique, ils n’en sont pas moins des faits établis. C’est en connaissance de cause que Verlaine déclarait son « admiration, son étonnement extrêmes » (en 1895, mais sans doute dès leur première rencontre de fin 1871) et de même Forain, en 1923, disait encore sa « stupéfaction devant cet enfant extraordinaire ».
Sept considérations objectives, en effet, caractérisent la question Rimbaud, et avant toute autre vient l’artiste de la langue. Les grandes problématiques associées à Rimbaud, poésie, jeunesse, révolte, voyages… tout cela n’aurait aucun intérêt sans cette donnée première, la plus étonnante, la seule nécessaire ! La langue française de cet enfant que Verlaine présentait en 1886 (la linguistique n’existait pas encore) comme un « prodigieux linguiste » atteint en 1872 des sommets alchimiques de légèreté, de subtilité, d’ingéniosité…:
Mais fondre ou fond ce nuage sans guide
ô favorisé de ce qui est frais
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent nos forêts !
Les voyous courent les rues, mais pas les génies de la langue française. L’Abyssinie sans l’oeuvre, quand bien même « l’œuvre » fut inachevée et reniée, c’est bien peu ; le Harar sans l’art, ce n’est que Monfreid. Rimbaud pourrait même ne poser aucune question nouvelle à la littérature, comme les deux Alfred qui le précédèrent (de Vigny et de Musset), il resterait comme eux pour la beauté de la langue, par exemple pour ce poème Génie, à la fin des Illuminations, que des poètes éminents du siècle suivant comme Yves Bonnefoy tiendront pour « l’un des plus beaux poèmes de notre langue, un acte de bouleversante intuition, l’instant de vision sans ténèbres où une pensée s’accomplit (1)» , ou qu’ils reconnaîtront « parmi les plus puissants jamais écrits », one of the greates poems ever written, selon les termes de John Ashbery, son traducteur-poète américain — et dans ce cercle restreint de la qualité supérieure, ne vient à sa cheville et sur plusieurs plans que l’un des plus puissants poètes, Xu Yunuo, « le Rimbaud chinois » (2).