BERNARD Noël

invité d’honneur du 22e Salon Page(s, 2019

Il a collaboré à la réalisation d’un très grand nombre de livres d’artiste : plus de trois cents ont été recensés à ce jour.

Bernard Noël est né le 19 novembre 1930 à Sainte-Geneviève-sur-Argence (Aveyron). Il est décédé en 2021.

Marqué par les évènements et les engagements de sa génération – guerre d’Algérie et du Vietnam, désenchantement des promesses du communisme, crimes de Staline, censure omniprésente… – il publie peu à ses débuts, bien qu’il vive de travaux d’écriture. Mais il développe bientôt une «écriture du corps» fortement teintée d’érotisme au moyen de laquelle il interroge sa propre identité autant que le regard, le langage, le sens. Le Château de Cène sera un des derniers ouvrages condamnés par la justice française pour outrage aux mœurs.

Son œuvre s’épanouit alors, en abordant tous les genres : romans, récits, pièces de théâtre, essais, monographies de peintres, etc.

La poésie y tient une place centrale depuis Extraits du corps (Paris, Editions de Minuit, 1958). Elle sera très souvent récompensée : Bernard Noël se verra décerner, entre autres, le Grand Prix national de Poésie en 1992 et le Prix international de Poésie Gabriele d’Annunzio en 2011. Il a collaboré à la réalisation d’un très grand nombre de livres d’artiste : plus de trois cents ont été recensés à ce jour.

Un site internet recense l’ensemble de ses œuvres : http://atelier-bernardnoel.com/

Bernard Noël
Bernard Noël
Bernard Noël

Des livres pour résister

« il y eut l’avant il y eut l’après et la vie de derrière le dos et la vie de devant les yeux on a perdu le milieu » (1)

Le Syndrome de Gramsci(2) ? En tout cas cela y ressemble. Quel est le nom de la librairie où L’Ombre du double (3) se trouvait en bonne place ?

Avant ? Tristan Corbière et sa Rapsode foraine (4) avait inspiré magnifiquement Malo Renault, et Roger Vercel avait confié l’illustration de son roman En dérive(5) à Yvonne Jean-Haffen. Puis un saut dans le présent avec la découverte des éditions Folle Avoine (6) lors d’un improbable et éphémère salon du livre dans une petite ville de campagne et une soirée de présentation des éditions Hôtel Continental (7) dans une des premières Maisons de la Poésie.

(1) Un Livre de fables – Fable des mots nés, Fata Morgana, 2008. (2) PoL, 1994 ; repris chez le même éditeur dans La Comédie intime, 2015.
(3) PoL, 1993.
(4) Tristan Corbière La Rapsode foraine et le pardon de Sainte Anne, Floury, 1920.
(5) Roger Vercel En dérive, Au moulin de PenMur, 1945.
(6) Créées et animées par Yves Prié qui a publié notamment plusieurs ouvrages avec des bois gravés de Nicolas Fedorenko. (7) Créées en 1981 par Hervé Carn, Jean-François Gouiffes, Nelly Kergus et Anne Montfort, rejoints par Yves Bescond, Claude Herviou et Guy Malabry, ont publié pendant une vingtaine d’années des textes courts accompagnés d’estampes.
(8) Carte d’identité, Unes, 1986.

Bernard Noël

L’Ombre du double, divisé en trois parties : L’Ombre du double, Quel est ce visage et Sur le peu de corps, regroupe des textes publiés précédemment en tirages limités. Pourquoi ce livre ? Les quinze questions posées dans la première partie du livre comprenant cinq séquences apportent peut-être des éléments de réponse :
– qu’est-ce que le temps, le mystère, la vue ; – qu’est-ce que le face à face, un visage, la vie ; – qu’est-ce qui nous fait vivant, qu’est-ce que la mort, l’objectivité ; – qu’est-ce que la volonté, le miroir, la raison ; – qu’est-ce que l’amour, l’apparence, la parole.
« La vie qui transhume par un porte-plume est toujours posthume » (8)
Est-ce pour conjurer le sort et rendre vivant l’écrit ? Les deux tiers des textes qui forment le livre furent proposés à différents artistes.

Bernard Noël

Que son format soit modeste ou imposant, qu’il soit protégé par un emboîtage ou non, que cet emboîtage soit luxueux ou utilitaire, le livre se présente toujours avec élégance. Le choix du papier, vélin d’Arches ou de Rives, le plus souvent, si important au toucher, comme le choix de la police ou du corps des caractères ne sont jamais laissés au hasard. L’architecture du livre — toujours en feuillet non cousus : classique quatre pages, accordéon de trois plis formant quatre pages, le recto pouvant seul être utilisé ou lithographie découpée en quatre bandes avec trois pliages, les parties droite et gauche se repliant sur la lithographie, le pliage central achevant de former quatre pages accueillant le texte imprimé ou manuscrit — est parfois inventive, toujours soignée.

(9) Titre de deux livres : le premier paru chez Brandes, 1984 et le second chez Jacques Brémond, 2010. (10) Fenêtres fermées. Les vingt-deux premiers exemplaires sont manuscrits avec la lithographie rehaussée. Séquence 1, Unes, 1987.
(11) Visage d’ombre. Séquence 2, Robert et Lydie Dutrou, 1988. (12) La Partie d’ombre. Séquence 4, La Chouette diurne, 1993. (13) Qui est son visage. Approche 1, Fata Morgana, 2007. Une première édition avec des lavis de Bernard était parue à la Librairie-Galerie Lo Païs, 1989.
(14) Sur le peu de corps, Cahiers des Brisants, 1990.
(15) avec une gravure d’Alain Le Foll, Fata Morgana, 1972.
(16) Fata Morgana, 2007. Une première édition avait été publiée en 2003 dans le numéro 2 de la revue Moriturus, puis en 2007 en volume aux éditions Fissile. Une édition partielle accompagnée de lithographies de Kijno était parue chez Maeght en 2003.
(17) Une Colère d’encre, collage et estampes d’Erro, Dumerchez, 2013.

Ce « présent de papier » (9) offert en partage à des artistes qui en retour donneront une lithographie, Colette Deblé (10), des gravures en couleur, Bertrand Dorny (11), des dessins, Bernard Quentin (12), des peintures, Philippe Hélénon (13), ou des gravures en noir tirées sur chine appliqué sur Rives pour les suites, Olivier Debré (14), marque un parfait moment de complicité et d’amitié entre les artisans du livre : auteur, artiste et éditeur et l’ouvrage convainc toujours le lecteur.

Après ? Bien sûr Bernard n’est pas l’auteur d’un seul livre. L’émotion ressentie est bien différente à la lecture d’Une Messe blanche (15) qui fascine de la première à la dernière ligne ou à celle des Sonnets de la mort (16) dont les peintures de Jean-Gilles Badaire soulignent les sentiments d’horreur et de révolte.

Les livres de Bernard ?

« Le lieu où consonnes et voyelles s’assemblent pour l’acte de pensée rameutant parmi salive et dents creuses la volonté de résister » (17).

Alain Millou

Bernard Noël "Vitesse du visage"
Bernard Noël "Espace en demeure"